La problématique des garanties sur les exploitations agricoles au Cameroun 

L’émergence des exploitations agricoles de grande envergure au Cameroun est un objectif clairement affiché. On parle de l’avènement de l’agriculture de seconde génération. Il s’agit d’un défi à relever par le Cameroun, plus de 50 ans après les indépendances. Le développement de cette agriculture de seconde génération est soumis à diverses conditions. Outre les questions de détermination des droits fonciers sur les terres et de rentabilité de ces terres, le problème du financement des exploitations agricoles n’est pas des moindres. Cette question est devenue pertinente et face aux réticences des banques classiques et à l’insuffisance des subventions directes ou indirectes, la création des banques agricoles et ou de développement est de plus en plus envisagée. 

Le projet d’une banque agricole au Cameroun est en cours. La CARFIC (Cameroon Rural Financial Corporation) de son futur nom de baptême remplacera le Fonds national de développement rural (FONADER), créé en 1980 et dissout en 1989 et de la Banque agricole du Cameroun qui a fait long feu puisqu’elle est mise en liquidation par la COBAC en juin 1997 après seulement 7 ans d’existence.

Qu’il s’agisse du financement à travers le crédit bancaire classique ou à travers le crédit spécialisé, le problème des garanties ne peut être longtemps éludé. La banque qu’elle soit classique, de développement ou agricole, sera plus encline à financer une activité agricole lorsque l’exploitant a des garanties à offrir.  Les fonds de garantie ayant quasiment disparu et la garantie directe de l’Etat se raréfiant, l’exploitant sera amené lui-même à constituer les garanties et l’exploitation agricole devrait en premier lieu servir à financer l’activité. Selon le rapport Doing Business de 2012,  » l’accès au financement et le développement du crédit sont déterminés en partie par la capacité d’un emprunteur à offrir librement une garantie ». Or, la terre est un atout économique fondamental de toute société. Autrement dit « qui a la terre a la richesse ». Mais l’exploitation agricole n’est pas que la terre. Largement entendue, c’est la terre, ses fruits et ses produits et tout ce qui s’attache comme par exemple tous les outils qui servent à l’exploitation agricole y compris, dans certains cas, le bétail.

On peut donc se demander dans quelle mesure l’exploitation agricole, compte tenu de toutes les contraintes qui portent sur elle peut efficacement servir à garantir les crédits à l’agriculture. La notion de garantie doit être entendue ici au sens large comme toute mesure assurant le recouvrement à l’échéance d’une créance  sans avoir ce recouvrement comme but exclusif. Elle inclut donc toutes les sûretés telles qu’envisagées par le droit OHADA et principalement les sûretés réelles portant sur l’exploitation agricole et toutes les autres garanties possibles dès lors qu’elles peuvent être en rapport avec l’exploitation agricole.

L’avantage des garanties assises sur l’exploitation agricole est de préserver le crédit de l’agriculteur constituant, tout en donnant l’assurance au banquier que l’activité financée fournira les ressources nécessaires au remboursement du crédit.

Seront successivement envisagés le choix des garanties et le poids de ces garanties.

I/ Le choix des garanties sur l’exploitation agricole

L’exploitation agricole se prête particulièrement à certains types de garanties qui sont relativement diversifiées. Celles-ci portent d’abord sur les terres agricoles, mais aussi sur les produits de l’exploitation agricole et dans une certaine mesure également sur le matériel d’exploitation agricole.

Toutes les exploitations agricoles ne sont pas toujours de petite taille, il y en a de plus en plus de grande taille et les exploitants ne savent pas toujours que ces exploitations peuvent être des moyens de garantie importants se substituant ou s’ajoutant à d’autres.

I.1. Les garanties sur les terres agricoles : l’hypothèque

L’exploitant agricole peut consentir une (ou plusieurs) hypothèque (s) sur son exploitation agricole. Elle permet de garantir les prêts à long terme consentis pour financer l’activité agricole par exemple la création ou la modernisation de plantations pérennes (cacaoyère, bananeraie, palmeraie, caféière et autres).

  • avantages de l’hypothèque :
  • absence de dépossession, préservation du crédit du constituant ( possibilité de consentir plusieurs hypothèques sur la même terre), possibilité de le consentir sur un immeuble en cours d’immatriculation, sur un bail emphytéotique ( bail de longue durée pouvant aller jusqu’à 99 ans), sur un droit d’usufruit ( l’usufruitier peut consentir l’hypothèque sur l’exploitation), possibilité de consentir une hypothèque sur une exploitation même en cas d’indivision ( lorsque l’exploitation appartient en commun à plusieurs personnes par ex. dans le cas d’un héritage familial) à certaines conditions.
  • avantages au niveau de la réalisation : ces avantages sont appréciés du côté du bénéficiaire de la garantie : possibilité d’attribution judiciaire et d’attribution conventionnelle sans les contraintes qui sont imposées aux autres types de biens notamment les immeubles à usage d’habitation ou servant de résidence principale, l’évaluation préalable par l’expert garantit les droits du débiteur.
  • formalités de l’hypothèque : l’hypothèque est établie par un acte notarié et fait l’objet d’inscription et de publicité selon les formalités du livre foncier conformément aux dispositions de l’acte uniforme sur les sûretés et à celles régissant l’inscription des droits fonciers au Cameroun

I.2. Les garanties sur les produits de l’exploitation agricole : le gage des stocks

Cette sûreté est organisée par l’article 120 AUS. Les produits de l’exploitation agricole dès lors qu’ils constituent un stock (un ensemble déterminé de choses de même nature qui sont fongibles c’est-à-dire interchangeables) peuvent être donnés en gage avec ou sans dépossession. Le gage peut même porter sur des stocks futurs (par ex.  Des fruits en cours de maturation).  On note une certaine flexibilité de la sûreté (possibilité pour l’exploitant de vendre les stocks mis en gage mais à charge de remplacer, délivrance au créancier d’un bordereau de gage de stocks qui peut circuler), Dans tous les cas, le créancier est protégé par différentes règles contenues dans l’AUS.

Pour le créancier bénéficiaire de la sûreté, le gage peut être intéressant lorsqu’il porte sur certains produits agricoles d’exportation (cacao, café, banane) qui peuvent être vendus sur les marchés extérieurs.

I.3. Les garanties sur le matériel de l’exploitation agricole

L’importance du matériel et de l’outillage pour une exploitation agricole n’est plus à démontrer. Les tracteurs et autres engins agricoles aident pour la mécanisation et contribuent à l’accroissement du rendement. Ce matériel peut faire l’objet de diverses garanties :

  • le crédit-bail. Cette sûreté organisée désormais par le droit OHADA est utile pour le débiteur (agriculteur) au moment de l’acquisition du matériel lorsque ce dernier ne dispose pas immédiatement des sommes nécessaires pour acquérir le matériel. Mécanisme : acquisition du matériel par l’établissement de crédit-bail qui reste propriétaire du matériel qu’elle loue à l’exploitant agricole contre paiement de loyers. Pas d’avance de fonds nécessaire ; possibilité de renouveler le bail ou devenir propriétaire du bien à la fin de la période de location.
  • la réserve de propriété : permet au vendeur de retenir la propriété du bien mobilier vendu en garantie jusqu’au complet paiement du prix. Si le vendeur l’a
  • le gage de matériel professionnel (engins agricoles) (article 118 AUS) qui peut être désormais fait sans dépossession ce qui présente un intérêt pour l’exploitant qui continue à l’utiliser ce qui peut garantir la rentabilité de l’exploitation ; conditions favorables de réalisation pour le prêteur : vente forcée, attribution judiciaire.
  1. Le poids des garanties portant sur les exploitations agricoles

En dépit de leur diversité et de leur utilité, les garanties sur les exploitations agricoles, au Cameroun, comme ailleurs ne sont pas toujours d’une grande efficacité. Le poids économique ainsi que leur valeur juridique sont affaiblies pour diverses raisons.

 

 

  • Les contraintes juridiques

Certaines contraintes juridiques pèsent sur les exploitations agricoles et sur les exploitants ce qui ne permet pas de valoriser les exploitations agricoles.

L’une des principales est la question les droits fonciers sur les exploitations agricoles. En plus de la difficulté pour l’exploitant agricole de prouver qu’il est le propriétaire au sens juridique du terme des terres qu’il exploite ainsi que la longueur et la complexité des procédures d’obtention des titres fonciers, il y a les problèmes que posent certaines exploitations agricoles communautaires ou familiales sans oublier les nombreux conflits fonciers.

Une réforme des régimes fonciers est en cours depuis quelques années. On espère qu’elle apportera quelques solutions par exemple en ce qui concerne la simplification de la procédure d’obtention des titres fonciers.

  • Les limites et obstacles économiques
    • le coût de constitution des garanties (le coût de l’hypothèque en particulier est assez élevé : actes notariés, frais accessoires, etc.) et parfois la longueur des procédures y relatives. Si les investissements à financer ne sont pas d’une certaine importance, cela peut être un motif de découragement ou de refus
    • la valeur marchande des exploitations agricoles (par exemple du fait du mauvais entretien des plantations, de la difficile accessibilité de ces plantations (problèmes de routes), la faible productivité des exploitations agricoles (qui peut être justifiée par l’absence d’utilisation d’engrais ou de semences améliorées, l’encadrement technique insuffisant des exploitants, etc.). Pour contourner cet obstacle, il faut intégrer les techniques comme la mécanisation, l’irrigation, le recours à la transformation, le recours à la recherche – développement des productions animales, végétales, halieutiques et sylvicoles.
    • la valeur des biens rattachés à l’exploitation (matériels de l’exploitation agricole). Comme on l’a dit ils peuvent faire l’objet de garanties et ils sont appelés à être saisis et vendus en cas de défaillance de l’exploitant. Or ces biens posent parfois des problèmes d’entretien, de maintenance et parois leur valeur économique est peu importante ce qui peut contraster avec les procédures de constitution et de réalisation de ces garanties.
    • le problème de la conservation des produits de l’exploitation (pertes après récolte, problèmes de transformation, de transport et vente des produits, problème de la qualité et de la norme des produits surtout ceux destinés à l’exportation, l’absence des magasins d’entrepôt, de stockage, de marchés et des circuits de commercialisation pour la vente des produits agricoles.
    • le problème des risques agricoles (sécheresse et autres catastrophes) ce qui pose le problème de l’assurance agricole qui reste assez peu répandue pourtant elle est prévue par le code des assurances CIMA.

 Les exploitations agricoles peuvent, dans certaines conditions servir de moyens de garanties utiles pour le financement de l’agriculture au Cameroun. Il faudrait simplement qu’un ensemble de contraintes puissent être surmonter avec si besoin est, l’appui de l’Etat.