LE PRINCIPE DE SPECIALITE DE L’HYPOTHEQUE :
ASPECTS THEORIQUES PRATIQUES
Par KALIEU ELONGO Yvette et CHEUDJOUO Inches
- NOTION
Le principe de la spécialité des hypothèques est un principe de droit de commun inspiré par le code civil. Le principe découle de la lecture des articles 190 et 195 de l’Acte Uniforme OHADA révisé portant organisation des sûretés lesquels nous renseignent sur les points essentiels d’une inscription hypothécaire parfaite Elle doit informer sur :
- Le titre sans lequel il n’y a point d’hypothèque
- La date de l’inscription qui fixe le rang de l’hypothèque
- La mention du montant de la créance qui assigne à l’inscription sa consistance
- L’indication des biens, qui permet la réalisation de l’hypothèque
- La durée qui assure la protection du propriétaire contre la pérennité de l’hypothèque.
Il y a spécialité quant à l’assiette de la sûreté et quant à la créance garantie.
- La spécialité quant à l’assiette signifie que le contrat d’hypothèque doit préciser les immeubles ou parties d’immeuble sur lesquelles s’exercent les droits du créancier.
- La spécialité quant aux créances garanties signifie que l’hypothèque ne saurait garantir n’importe quelle créance du créancier à l’égard du débiteur.
- EXPLICATION DU PRINCIPE
Un crédit octroyé doit équivaloir à une hypothèque, c’est-à-dire qu’un financement sera couvert par une inscription. Dès le remboursement de ce financement, l’hypothèque doit être levée car l’inscription hypothécaire prise n’est plus utile, elle perd sa force juridique et doit être radiée. Par conséquent, lorsque la créance garantie est éteinte, l’hypothèque disparaît quand bien même le débiteur serait encore tenu à l’égard du créancier.
En cas de nouveau concours, de renouvellement à l’identique, à la baisse ou à la hausse, et si l’hypothèque sur le même immeuble est retenue comme garantie, il faut obligatoirement une autre convention notariée, une autre clause d’hypothèque et une autre inscription hypothécaire. Si l’ordre de créance veut être maintenu, la radiation de la précédente inscription est accomplie en même temps qu’une nouvelle inscription[1],
Ainsi, un crédit doit être garanti par une hypothèque, deux crédits doivent être garantis par deux hypothèques, ainsi de suite.
La pratique actuelle du maintien de l’hypothèque et donc de l’inscription antérieure pour de nouveaux concours n’est pas légalement valable et encourt nullité des conventions et autres actes de saisie immobilière[2].
- CONSEQUENCES DU PRINCIPE DE LA SPECIALITE DES HYPOTHEQUES
La spécialité de l’hypothèque a des conséquences tant positives que négatives pour toutes les parties.
Partie | Conséquence positive | Conséquence négative |
Pour le propriétaire de l’immeuble et les tiers | Le patrimoine immobilier est préservé du tourbillon des prêts successifs. On présume fortement que toute nouvelle hypothèque est le résultat d’une profonde réflexion. Aussi valable pour le tiers, il y a une connaissance précise du bien grevé et des montants garanties : assiette exacte, créance inscrite | Etant donné que les frais de levée d’hypothèque, d’inscription et de radiation reviennent au propriétaire ou l’emprunteur il y a : Renchérissement du coût du créditRéticence à solliciter de nouveau concoursRefus de constituer hypothèque |
Pour la banque prêteuse | Le remboursement de la créance est assuré par la réalisation d’un bien déterminé et garanti pour la cause. | Baisse de la demande de créditFaiblesse des sûretés constituées sur les créancesSoupçon d’usure à cause du coût élevé du crédit. |
En pratique, la banque établit une relation diverse et de longue durée avec ses clients. Ainsi il met en place des financements nouveaux, renouvelés, transformés ou complétés avec la même inscription de sûretés, habitude compréhensive mais réprimée par la loi. Du coup, dans sa volonté d’allier activité dynamique et souplesse en faveur du client, la banque se trouve en insécurité juridique et encourt nullité de ses actes et garanties de financement.
- SOLUTION : COMMENT RESPECTER LE PRINCIPE, SATISFAIRE LE CLIENT TOUT EN CONSITUANT UNE HYPOTHEQUE JURIDIQUEMENT PROTEGEE ?
La garantie ne repose plus sur les concours mais seulement sur le solde débiteur du compte courant. L’hypothèque est constituée en couverture du débit résultant de la clôture du compte : S’il doit y avoir réalisation hypothécaire, elle se fera à hauteur du débit, dans la limite du montant déterminé ou déterminable.
Le solde débiteur est une créance, mais une créance éventuelle et conditionnelle que l’article 204 de l’Acte Uniforme OHADA révisé portant organisation des sûretés permet de garantir. Le contrat écrit devrait alors obligatoirement indiquer la créance, qu’elle soit déterminée ou déterminable, la durée du contrat et celle de l’hypothèque, et le montant maximal garanti.
Le solde débiteur est évidemment issu de la clôture du compte et résulte de l’échéance anticipée ou normale des engagements, des agios divers occasionnés par les impayés des crédits, les débits non couverts ou les lignes non apurées.
- Avantage de l’hypothèque de la créance issue du solde débiteur du compte courant:
Pour la banque : fidélisation de la clientèle, protection juridique des actes de financement, prise de garantie aisée, harmonisation optimum de la chaîne d’octroi du financement.
Pour le client : grande flexibilité des financements (formes, durée, montant), réduction du coût du financement (maîtrise du Taux Effectif Global), réduction des délais d’accès effectif au financement.
On pourra avoir deux types de convention cadre :
- Convention de compte courant
Acte par lequel la BANQUE annonce la possibilité de financer les activités statutaires du client sous conditions, dans la limite d’un montant qu’elle prendra soin d’inscrire à l’occasion d’un gage, d’un nantissement ou d’une hypothèque.
- Convention d’ouverture de financement
Convention par laquelle la banque promet de financer les activités du client, sous conditions, en fonction de ses besoins valablement exprimés et justifiés.
Pour garantir le remboursement des sommes effectivement utilisées par le bénéficiaire de l’ouverture du financement, une hypothèque pourra être prise à hauteur du financement ouvert. Bien entendu, l’utilisation d’une somme inférieure au montant du financement ouvert aura pour effet de ne faire jouer l’hypothèque qu’à concurrence de la somme effectivement utilisée par le Bénéficiaire.
Le financement ouvert peut être mis à la disposition du bénéficiaire soit par des versements échelonnés (approvisionnement du compte de fonctionnement à la demande) à des périodes déterminées, soit par des tirages à volonté (mise en place d’une ou plusieurs lignes), soit par la délivrance des cautions/avals ou autres, mais dans la limite du montant global de financement, donc dans la limite de l’inscription de l’hypothèque.
En somme il s’agit d’un financement qui se dédoublera, au souhait justifié du client, en trésorerie (découvert, avances, facilité, escompte, prêt) et/ou en signature (CREDOC/REMDOC, caution/aval, lettre de garantie/contre garantie).
- Grâce à ces deux types de convention cadre dont la similitude est très marquée:
- A l’ouverture, la créance est éventuelle et conditionnelle mais déterminable. L’hypothèque est constituée à hauteur d’un montant convenu;
- A chaque mise à disposition, la créance est réelle mais provisoire. L’hypothèque reste valable et garde toute sa valeur juridique;
- A la clôture, la créance est définitive, exigible, certaine, déterminée et liquide. L’hypothèque est alors réalisée à hauteur du solde débiteur du compte clôturé.
Mais quel que soit le cas, pour respecter en permanence le principe de spécialité, l’hypothèque prise antérieurement sera radiée et une nouvelle hypothèque inscrite si :
- Le plafond ou l’encours maximum déterminé ou déterminable est ou veut être dépassé ;
- Si la durée de la relation de compte courant est échue ;
- Si la durée de l’inscription hypothécaire est échue et qu’il n’ y a pas eu renouvellement..
[1] Sinon, on s’inscrira en deuxième rang, le premier rang pouvant être pris par une autre banque à l’occasion d’un autre financement.
[2] L’octroi de nouveaux concours ou les renouvellements de financement avec maintien de l’hypothèque sont en réalité des rechargements d’hypothèque, mesure acceptée en France et ailleurs mais non prévue au Cameroun.
Ousseynou SOW
Je vous ai été mis en contact par Monsieur Amara Abdoulaye du Mali, suite à quoi nous avons échangé une seule fois.
Flugence CLEGOU
Bonjour Mme le Professeur,
Le principe de la spécialité est il applicable au rééchelonnement de la dette?
Montesquieu NKONO
Vos orientations sont très pratiques, et permettent aux banques à découvrir leurs léger dans leurs relations avec les clients.
Je voudrais par ailleurs, solliciter votre disponibilité pour les échanges sur diverses questions liées à la Banque. Vos enseignements sont tellement pratiques.
Vous n’allez me dire que vous n’êtes pas experte en Banque, car tout ce que vous développez touche les pratiques bancaires.
Kalieu Yvette
Merci pour vos propos aimables.
Vous pouvez me contacter par mail à mon adresse de contact.
ABDOULAYE AMARA
Bonjour Professeur
j’ai avec intérêt votre l’article sur le principe de la spécialité de l’hypothèque, une notion dont l’application pratique échappe à certains juristes dans la banque, surtout dans le cadre de la prise d’hypothèque en couverture des engagements d’un client. A présent, dans certaines banques au Mali, pour ne pas dire toutes les banques, l’hypothèque consentie en couverture d’un crédit, continue d’être maintenue même après le remboursement dudit concours, pour couverture des nouveaux crédits accordés à un client. Or avec la règle de la spécialité de l’hypothèque, une fois un crédit est remboursé, la banque doit procéder à la mainlevée. Ce qui n’est pas le cas et, expose la banque à un risque juridique, mais aussi un risque de non conformité pour non respect des règles de formalisation de l’hypothèque. Si un client est de mauvaise fois, il peut saisir un juge et faire annuler les inscriptions hypothécaires déja prises et, qui sont maintenues en sûreté de nouveaux crédits. « Un crédit octroyé doit équivaloir à une hypothèque, c’est-à-dire qu’un financement sera couvert par une inscription. Dès le remboursement de ce financement, l’hypothèque doit être levée car l’inscription hypothécaire prise n’est plus utile, elle perd sa force juridique et doit être radiée. Par conséquent, lorsque la créance garantie est éteinte, l’hypothèque disparaît quand bien même le débiteur serait encore tenu à l’égard du créancier ».
je pense que cet article pour faire l’objet d’un large partage au niveau des banques surtout, afin de permettre aux juristes de revoir certains aspects de la formalisation de l’hypothèque. M. Abdoulaye AMARA, juriste de banque
kalieu
Bjr
Je vous propose de faire un petit papier sur la question à partir des pratiques des banques maliennes et surtout en suggérant des bonnes pratiques. Nous pourrons le publier dans la revue Africaine de droit bancaire et boursier