Les mandataires judiciaires dans l’Acte uniforme OHADA révisé du 10 septembre 2015
Par Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Professeur de droit privé, Université de Dschang
L’acte uniforme portant organisation des procédures collectives tel que révisé le 10 septembre 2015 et entré en vigueur le 24 décembre 2015 a introduit en droit OHADA, la notion de mandataires judiciaires.
Sans définir les mandataires judiciaires qui font partie des organes de la procédure collective, l’AUPCAP institue deux catégories de mandataires judiciaires que sont l’expert au règlement préventif et le syndic. Mais, si la notion de mandataire est nouvelle, les deux organes ne sont pas nouveaux puisqu’ils existaient sous l’ancienne législation. Ce qui est nouveau par contre, c’est que la loi adopte un régime commun pour ces différents mandataires judiciaires à côté des règles propres à chaque catégorie qui restent globalement inchangées[1].
Les règles prévues par l’AUPCAP devront cependant être complétées par des dispositions nationales surtout pour ce qui est de la mise en place d’une autorité nationale de contrôle des mandataires judiciaires. Certains Etats sont déjà intervenus en ce sens. Il s’agit de la Côte d’Ivoire par le Décret du 10 févier 2016 portant, création, attributions et fonctionnement de la Commission nationale de contrôle des mandataires judiciaires et du Décret du 26 avril 2016 relatif au statut des mandataires judiciaires. Les dispositions consacrées aux mandataires judiciaires précisent les conditions de désignation et de rémunération ainsi que le régime de responsabilité de ces organes.
I.1. La désignation des mandataires judiciaires
L’exercice des fonctions de mandataire judiciaire dans une procédure collective est subordonné à l’inscription sur la liste nationale des mandataires judiciaires. L’article 4-1 al.2. prévoit cependant qu’à titre exceptionnel, le tribunal peut désigner comme expert ou mandataire une personne non inscrite sur la liste.
Les experts comptables s’ils remplissent les critères sont d’office habilités à exercer la fonction de mandataire judiciaire, ce qui n’est pas le cas pour les autres professions. Autrement dit, tous ceux qui ne sont experts comptables doivent être préalablement habilités sans que le texte ne précise ni quelles catégories de professionnels pourraient être admis, ni quelles sont les conditions de l’habilitation. Tout relèvera donc de chaque législation nationale, ce qui peut laisser percevoir les difficultés de l’harmonisation pourtant tant souhaitée de la fonction de mandataire judiciaire au sein de l’espace OHADA.
Pour être inscrit sur la liste nationale, le candidat aux fonctions de mandataire doit satisfaire à certaines exigences.
La première est la qualification. Il ressort de l’article 4-1 que les experts comptables s’ils remplissent les critères sont d’office habilités à exercer la fonction de mandataire judiciaire, ce qui n’est pas le cas pour les autres professions. Autrement dit, tous ceux qui ne sont experts comptables doivent être préalablement habilités sans que le texte ne précise ni quelles catégories de professionnels pourraient être admis, ni quelles sont les conditions de l’habilitation. Tout relèvera donc de chaque législation nationale.
A ce critère de qualification, il faut ajouter les critères de capacité, de probité et de moralité[2]. S’agissant de la capacité, le mandataire doit avoir le plein exercice de ses droits civils et civiques ce qui exclut par exemple de ces fonctions le failli non réhabilité ou le majeur incapable. Le critère de probité signifie que le candidat ne doit pas avoir subi une sanction disciplinaire ( excepté l’avertissement ) ou une peine privative de liberté ou une peine d’au moins trois mois d’emprisonnement dans les conditions prévues par l’article 4-2 2°. S’agissant de la moralité, le mandataire doit présenter des garanties suffisantes de sa moralité ( par exemple en présentant un extrait de casier judiciaire ) et présenter aussi des garanties d’indépendance, de neutralité et d’impartialité. En plus de cela, le mandataire doit justifier d’une domiciliation fiscale dans l’Etat où il sollicite son inscription et être à jour de ses obligations fiscales.
Des règles d’incompatibilité sont prévues. Elles prennent en compte les liens de parenté ou d’alliance mais aussi les conflits d’intérêts éventuels. Pour cette raison, ne peuvent être mandataires les personnes qui ont eu ou qui ont un différend avec le débiteur ou un de ses créanciers ou celles qui ont pu percevoir précédemment une rémunération de la part du débiteur ou de l’un de ses créanciers. L’incompatibilité s’étend également à l’exercice de toute activité de nature à porter atteinte à l’indépendance, à la neutralité et à l’ impartialité du mandataire. C’est la raison pour laquelle le mandataire ne peut être ni l’expert comptable ni l’avocat ni le comptable agréé ni le commissaire aux comptes du débiteur ou d’un de ses créanciers.
Ces incompatibilités sont renforcées par l’obligation de signer une déclaration d’indépendance, de neutralité et d’impartialité et surtout celle de prêter serment préalablement à l’entrée en fonction.
I.2. La rémunération des mandataires judiciaires
L’acte uniforme harmonise et encadre désormais les rémunérations dues aux différentes mandataires judiciaires aussi bien pour ce qui est de leur montant que des conditions de leur paiement. Il précise d’abord que les mandataires judiciaires sont rémunérés sur le patrimoine du débiteur et que cette rémunération est exclusive de toute autre rémunération et remboursement de frais pour les mêmes diligences. Il précise ensuite les modalités de cette rémunération qui varient cependant en fonction des procédures.
Dans le règlement préventif, la rémunération de l’expert est déterminée par la juridiction compétente dans la décision homologuant ou rejetant le concordat préventif. Le juge doit tenir compte du barème national. Ce barème prend en compte certains éléments tels que le temps passé et les difficultés éventuellement rencontrées dans la procédure ou le nombre de créanciers concernés[3]. Lorsque la procédure ouverte est une procédure de règlement préventif simplifié, la rémunération de l’expert peut être fixée à un montant forfaitaire et il peut lui être accordé dans la décision le désignant ou dans une décision ultérieure, une provision sur sa rémunération qui ne saurait excéder 40% du montant prévisionnel de celle-ci.
Quant à la rémunération du syndic[4], elle est fixée également en fonction du barème national par la juridiction compétente dans sa décision de clôture de la procédure ou d’homologation du concordat. Ce barème doit tenir compte de certains éléments tels que le chiffre d’affaires réalisé par le débiteur au cours de l’exercice précédant l’ouverture de la procédure collective, le nombre de travailleurs employés au cours de cette même période, le ratio de recouvrement des créances, le temps passé et des difficultés éventuellement rencontrées dans la procédure, la célérité des diligences accomplies. Ces éléments peuvent être complétés par des critères supplémentaires définis par chaque Etat partie. En cas de redressement judiciaire ou de liquidation des biens simplifié, la rémunération du syndic peut être forfaitaire.
Les décisions relatives à la rémunération des mandataires sont susceptibles d’appel devant la juridiction compétente dans les quinze jours de leur prononcé à la requête du débiteur, du mandataire judiciaire ou du ministère public.
I.3. La responsabilité des mandataires judiciaires
Le contrôle des mandataires dans l’exercice de leur fonction relève de la compétence des autorités nationales.
Les mandataires judiciaires engagent leur responsabilité tant sur le plan disciplinaire que sur les plans civil et pénal.
Les mandataires judiciaires peuvent d’abord subir des sanctions disciplinaires. Au titre de celles-ci, on peut citer l’interdiction provisoire d’exercer l’activité, l’avertissement, le blâme avec inscription au dossier, la suspension d’exercer pour une durée maximale de trois ans, la radiation de la liste nationale des mandataires judiciaires emportant interdiction définitive d’exercer. Ces sanctions sont notifiées au mandataire judiciaire concerné ainsi qu’à certains organes désignés par le texte.
Les mandataires judiciaires engagent ensuite leur responsabilité civile à l’égard du débiteur, des créanciers et des tiers. L’action en responsabilité civile relève de la juridiction compétente en matière des procédures collectives du lieu où le mandataire est établi. Pour couvrir leur responsabilité civile professionnelle et garantir la réparation des préjudices nés de l’exercice de leurs fonctions, les mandataires doivent obligatoirement souscrire une assurance.
S’agissant de la responsabilité pénale, à défaut de précisions dans l’AUPCAP, celle-ci est régie par les conditions de droit commun telles que prévues par chaque législation nationale.
[4] Que ce soit en qualité de contrôleur du concordat préventif ou de syndic de redressement judiciaire ou de liquidation des biens.
[3] Ces éléments peuvent être complétés par des critères supplémentaires fixés par chaque Etat partie.
[2] Les conditions prévues par l’article 4-2 sont des exigences minimales qui peuvent être complétées éventuellement par la législation nationale de chaque Etat.
[1] Sur ces règles propres aux différents mandataires judiciaires et sur plus de développements sur les règles communes à ces mandataires, lire notre ouvrage: Le droit des procédures collectives de l’OHADA, Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, août 2016.
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