Privilège du trésor des entités publiques au Cameroun : les nouvelles règles
Pr KALIEU ELONGO Yvette
Université de Dschang
La Loi n°2023/011 du 25 juillet 2023 régissant les garanties et le recouvrement des créances par les entités publiques bénéficiaires du privilège du trésor apporte quelques modifications substantielles au régime jusque-là applicable au privilège du trésor dont bénéficient certaines entreprises publiques.
Avant de s’intéresser à ces modifications, il faut signaler de prime abord que cette loi pose quelques problèmes quant à son champ d’application. Il ressort de l’intitulé de la loi et de certains de ses articles notamment les articles 1, 2, 3 et 4 une certaine confusion relativement aux entreprises bénéficiaires du privilège ou plus largement celles auxquelles la loi s’applique.
Certaines dispositions semblent suggérer que le texte s’applique uniquement aux entreprises bénéficiaires du privilège du trésor, d’autres montrent plutôt que le texte s’applique toutes les entités publiques pour le recouvrement de leurs créances dès lors que le texte qui les crée leur octroie ce bénéficie.
Il y a par ailleurs et surtout une confusion entre les garanties du recouvrement des créances publiques et la notion de privilège du trésor. Ainsi, selon l’article 2 le privilège du trésor comprend les garanties sur les biens meubles et effets mobiliers, l’hypothèque légale et la solidarité de paiement ce qui signifie que l’hypothèque et la solidarité ne sont que des modalités du privilège alors que l’article 3 prévoit pour sa part que les créances des entités publiques peuvent être garanties par le privilège du trésor, l’hypothèque légale et la solidarité de paiement. Il ressort de cette seconde disposition que l’hypothèque et la solidarité constituent d’autres mécanismes de recouvrement à part à côté du privilège du trésor. C’est l’article 3 qui nous semble être la disposition à prendre en compte puisque les articles qui suivent notamment les articles 6 et suivants organisent aussi bien le privilège du trésor que l’hypothèque légale et la solidarité de paiement.
Ces trois mécanismes constituent des mesures particulières ou spéciales de recouvrement des créances des entités publiques à côté des mesures de recouvrement ordinaires que la loi organise également dans certains de leurs aspects lorsqu’elles sont mises en œuvre par les entités publiques.
Le privilège du trésor est, selon la loi, un privilège mobilier portant sur les biens meubles corporels et incorporels ainsi que sur les effets mobiliers du débiteur en quelque lieu qu’il se trouve. Il peut être mis en œuvre même lorsque l’entité publique bénéficiaire est en liquidation. Son rang est fixé par rapport aux biens sur lesquels il porte et ce conformément aux règles du droit OHADA des sûretés mais le privilège prend rang après les créances fiscales et les créances de salaires.
L’hypothèque légale quant à elle porte sur les biens immobiliers du débiteur. Elle ne peut être inscrite qu’à compter de la mise en recouvrement de la créance d’une entité publique. La durée de l’inscription est de 10 ans renouvelable mais ne saurait excéder 30 ans ce qui est conforme au droit OHADA. Elle peut être inscrite même si l’immeuble est en cours d’immatriculation. Il faudrait toutefois dans ce cas pour respecter la condition de spécialité de l’hypothèque que les immeubles en cours d’immatriculation soient décrits avec précision.
La solidarité de paiement pour sa part et telle que prévue par la loi du 25 juillet doit être entendue dans un sens particulier. Il s’agit de faire supporter la créance devenue exécutoire par le débiteur et ses représentants ou ayants droit, les héritiers ou légataires, les cessionnaires de droits, d’actions ou parts, toute personne ayant refusé de décharger ou d’exécuter un avis à tiers détenteur, toute personne assurant la direction de droit ou de fait, directe ou indirecte d’une société et même toute personne coupable de complicité, de soustraction, de distraction ou de toute manœuvre frauduleuse visant à modifier ou camoufler la consistance des biens d’un débiteur d’une entité publique. Elle agit donc dans certains cas comme une sanction.
Ces différentes mesures spéciales de recouvrement font intervenir les porteurs de contraintes, acteurs essentiels notamment dans la mise en œuvre du privilège du trésor. Leurs pouvoirs, missions, rôles et responsabilités sont clairement définis par la loi. Celle-ci prévoit cependant qu’il peut être fait appel aux huissiers de justice. Ces mesures spéciales constituent des actes administratifs qui peuvent, de ce fait, faire l’objet de contestation par voie de recours gracieux préalable et éventuellement de recours devant le juge administratif. Toutefois, la loi prévoit que le litige peut être aussi réglé par voie de médiation dans les conditions prévues par l’acte uniforme OHADA relatif à la médiation auquel elle renvoie expressément.
A côté de ces mesures spéciales, il est prévu la mise en œuvre des mesures de poursuite ordinaires pour le recouvrement ces créances des entités publiques bénéficiaires de privilèges. Ces mesures sont par exemple celles prévues par le droit OHADA en matière de recouvrement des créances. Leur mise en œuvre comporte malgré tout des particularités telles que l’intervention du chef de l’entité publique qui doit par exemple délivrer la contrainte ou ordonner la mise en vente des biens saisis.
Tout en élargissant le champ des mesures devant contribuer au recouvrement efficace des créances des entités publiques, le législateur a renforcé les conditions de leur mise en œuvre afin de s’assurer que chaque fois que cela sera possible ces créances seront recouvrées dans les meilleures conditions car il s’agit après tout de l’argent public.
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