L’interprétation des Actes uniformes de l’OHADA ne relève pas de la compétence de la Cour de Justice de l’UEMOA (Cour de Justice de l’UEMOA, Arrêt n° 03/2024 du 8 mai 2024, Affaire Monsieur DIAWARA Oumar Contre la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Le contentieux de la saisie attribution des créances et en particulier le contentieux concernant les tiers saisis est l’un des plus importants en matière de voies d’exécution de l’OHADA. Mais ce contentieux restait jusque- là un contentieux porté devant les juridictions nationales et devant la Cour Commune de Justice de l’OHADA qui s’est, par de nombreuses décisions, prononcée sur les questions liées au tiers saisi. Mais, avec la présente affaire, le contentieux du tiers saisi dans la procédure de saisie attribution des créances s’est déporté – momentanément – devant la CJ de l’UEMOA. Heureusement, celle-ci s’est déclarée incompétente.
De qui s’est-il agi dans cette affaire ?
Par un arrêt en date du 22 octobre 2021, la Cour de Justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a rendu une décision condamnant la République de Côte d’Ivoire à payer à Oumar DIAWARA le requérant, une certaine somme en réparation de la violation de ses droits. En exécution de cette décision, le requérant a entendu procéder à la saisie attribution des avoirs de la Côte d’Ivoire dans les livres de la BCEAO siège à Dakar, sur le fondement du droit OHADA en signifiant à la BCEAO un procès-verbal de saisie attribution de créances.
En réaction, l’Etat de Côte d’Ivoire a assigné le requérant et la BCEAO par devant le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Dakar aux fins d’entendre ordonner la mainlevée des saisies attributions de créances pratiquées.
Alors que cette procédure était encore en cours, le requérant, sieur DIAWARA, a décidé d’engager devant la Cour de Justice de l’UEMOA la responsabilité personnelle de la BCEAO en application de l’article 156 de l’Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution pour manquements de la BCEAO à ses obligations en qualité de tiers saisi. En même temps, il a fait une demande de paiement des dommages-intérêts estimant avoir subi un dommage à la fois moral et matériel du fait de l’obstacle à lui opposé par la BCEAO, l’empêchant d’entrer en jouissance de ses droits.
Le requérant soutient que cette responsabilité personnelle imputable à la BCEAO permet ainsi d’obtenir sa condamnation devant la Cour de Justice de l’UEMOA conformément à l’article 15 du Protocole additionnel N°l relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA, qui prévoit que la Cour de Justice connait des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les organes de l’union ou par les agents de celles-ci dans l’exercice de leurs fonctions. Le requérant justifie par ailleurs la saisine de la CJ UEMOA par le fait que d’une part, la BCEAO, n’est justiciable que devant cette Cour de Justice de l’UEMOA en raison de son statut et que d’autre part la saisie pratiquée à l’égard de l’Etat Ivoirien est bien fondée en ce qu’elle déroge aux immunités juridictionnelles dont bénéficient les Etats et leurs biens.
La BCEAO, défenderesse, a soulevé, pour sa part, le moyen de l’incompétence matérielle de la CJ de l’UEMOA, au motif que la compétence de cette juridiction communautaire est limitée à l’interprétation et à l’application du Traité de l’UEMOA et que par ailleurs, l’application des dispositions des Actes uniformes (en l’espèce de l’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution) est soumise à la compétence des juridictions nationales des États parties, statuant en première instance et en appel et, en cas de pourvoi en cassation, à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, seule compétente. La Cour de Justice de l’UEMOA ne pouvait donc manifestement pas connaître du contentieux des Actes Uniformes de l’OHADA régis par un Traité distinct, à savoir celui de l’OHADA.
Il est donc revenu à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si elle était compétente pour l’application des dispositions de l’acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution.
La Cour rappelle d’abord qu’elle assure le contrôle la légalité des actes des Organes et instituions de l’UEMOA et sanctionne le cas échéant leur violation ; veille au respect par les Etats membres, de leurs obligations découlant des Traités et autres instruments de droit dérivés et Interprète le droit de l’Union à la demande des Etats membres, des Organes et des juges nationaux et que cette compétence d’attribution s’étend à tous les litiges inhérents à l’interprétation et à l’application du Traité et des autres textes communautaires. Elle affirme ensuite que, toutefois, en l’espèce le requérant ayant saisi la Cour d’un « recours aux fins d’assignation d’une difficulté d’exécution d’une saisie attribution de créances, de condamnation de la BCEAO, tiers saisi, aux causes de la saisie et au paiement de dommages-intérêts pour préjudice subi » ; cette difficulté d’exécution résulte de la saisie attribution de créances pratiquée par le requérant sur les comptes de l’Etat Ivoirien logés à la BCEAO, en application des dispositions de l’article 156 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
La Cour ajoute que si le recours en responsabilité extra contractuelle peut être intenté contre l’Union, il ne peut l’être que pour des motifs spécifiques limitativement énumérés à savoir la réparation des préjudices causés par des agissements matériels des organes ou des agents de l’Union à l’occasion de l’exercice de leur fonction et la réparation des préjudices causés par des actes normatifs des organes de l’Union et que ce recours est fondé sur les dispositions du droit communautaire de l’UEMOA.
Or, en l’espèce, « le requérant a saisi la Cour d’une mesure d’exécution qui, au sens de l’article 49 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution, relève indubitablement de la compétence exclusive de la juridiction d’exécution ; qu’il s’ensuit que seule cette juridiction est habilitée à apporter l’interprétation qui sied à l’application des règles processuelles édictées par les Actes uniformes de l’OHADA et en sanctionner le cas échéant les manquements ;
Qu’en l’état, aucun fondement juridique n’autorise la Cour à apprécier un comportement fautif d’un Organe de l’UEMOA au regard des instruments des Actes uniformes de l’OHADA, ce d’autant que l’UEMOA et l’OHADA disposent chacune, d’un d’ordre juridique autonome de sorte que l’interprétation des Actes uniformes de l’OHADA ne relève pas de la compétence de la Cour de Justice de l’UEMOA».
Sans surprise, la Cour de Justice de l’UEMOA s’est donc déclarée incompétence à connaître d’un contentieux qui appelait à l’interprétation du droit OHADA. Autrement dit, la qualité d’État membre ou d’organe de l’UEMOA a été jugée insuffisante pour déroger à l’application du droit OHADA en matière de saisie attribution des créances. Autrement dit, il faut savoir remettre à César ce qui appartient à César…
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