Le régime de la preuve électronique au Cameroun : entre réglementation nationale et droit uniforme OHADA

Pr KALIEU ELONGO Yvette, Université de Dschang ( CAMEROUN)

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La preuve est juridiquement entendue comme la démonstration de l’existence d’un fait ou d’un acte selon les formes admises par la loi. La preuve occupe une place fondamentale dans la théorie générale du droit ; elle dépasse largement les différents clivages entre les branches du droit ( droit privé/ droit public par exemple) ; elle est au service des sujets de droit. C’est pourquoi on dit souvent que ce qui ne peut être prouvé est considéré comme inexistant.

Les règles relatives à l’objet de la preuve, à la charge de la preuve et aux moyens de preuve ont été élaborées en particulier par le code civil tel qu’applicable au Cameroun et ont été éprouvées depuis de nombreuses années. Mais, face à l’évolution technologique ( avènement de l’internet, du téléphone portable et autres), le problème de la preuve face à l’évolution technologique et particulièrement celui de la preuve électronique se pose.  Autrement dit, faut-il conférer aux documents électroniques couramment utilisés ( notamment l’écrit électronique) une valeur de preuve juridique? Si oui, dans quelles conditions? Les documents électroniques peuvent-ils servir de moyens de preuve au même titre que l’écrit papier?

En se limitant à la preuve des actes juridiques et en particulier la preuve des contrats à l’exclusion des questions liées aux faits juridiques ( cybercriminalité et infractions  assimilées par exemple), on note que le régime de la preuve électronique au Cameroun est soumis à une pluralité de règles qui relèvent tant du droit interne que du droit uniforme OHADA.

Au plan interne, il faut citer principalement la loi n°2010/ 021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique et son décret d’application n°2011/ 1521 du 15 juin 2011 ; la loi n° 200/10 du 19 décembre 2000 régissant les archives ainsi que le Décret n° 2001/958/PM du 1er novembre 2001 fixant les modalités d’application de cette loi.

S’agissant du droit uniforme, il faut surtout citer l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général ( AUDCG) tel que révisé en décembre 2010. Au niveau de la CEMAC, le projet de directive CEMAC sur le commerce électronique n’a pas encore été adopté.

Il ressort de ces règles que le droit camerounais reconnait la preuve électronique ou encore que le principe est celui de la validité de la preuve électronique. L’équivalence entre la preuve par document électronique et de la preuve sur support papier est désormais admis. On parle également du principe de neutralité technologique ou de l’indifférence de la forme de l’écrit ( art. 10 Loi cce électronique ;  art. 5 AUDCG selon lequel l’écrit établi par voie électronique à la même valeur probante que l’écrit sur support papier).

La notion de de document électronique doit cependant être précisée. Aux termes de l’article 2 L 2010 sur le commerce électronique, le document électronique est « l’ensemble des données enregistrées ou mises en mémoire sur quelque support que ce soit par un système informatique ou un dispositif semblable et qui peuvent être lues ou perçues par une personne ou par un tel système ou dispositif.

Sont également visées, tout affichage ou toute sortie imprimée ou autre de ces données ».

Cependant, le document électronique, qui peut être aussi considéré comme l’écrit électronique est source de certaines difficultés qui peuvent en limiter l’utilisation. Il pose en effet les problèmes liés à l’authenticité du document, à la fiabilité des données ou encore à la datation de ceux-ci sans oublier les problèmes liés à l’archivage.

C’est pourquoi l’admission du document électronique est soumise à certaines conditions. Autrement dit, tout document électronique ne peut pas servir de preuve électronique. Au rang de ces conditions, il y a l’exigence d’authenticité et d’intégrité du document électronique. L’article 82 AUDCG prévoit que : « Les documents sous forme électronique peuvent se substituer aux documents sur support papier et sont reconnus comme équivalents lorsqu’ils sont établis et maintenus selon un procédé technique fiable, qui garantit, à tout moment, l’origine du document sous forme électronique et son intégrité au cours des traitements et des transmissions électroniques.

Les procédés techniques fiables et garantissant, à tout moment, l’origine des documents sous forme électronique ainsi que leur intégrité au cours de leurs traitements et de leurs transmissions électroniques sont reconnus valables par le présent Acte uniforme ou par le Comité technique de normalisation des procédures électroniques prévu à l’article 81 du présent Acte uniforme ».

A côté du document électronique, il y a l’écrit comportant une signature électronique  ( art. 83 AUDCG). On entend par signature électronique toute signature obtenue par un algorithme de chiffrement asymétrique permettant d’authentifier l’émetteur d’un message et d’en vérifier l’intégrité. Il est vrai que cette définition est plus technique que juridique.

Même admis, le domaine de la preuve électronique est cependant limité. Il est admis en matière commerciale en application du principe de la liberté de preuve commerciale. Ainsi, les art. 5, 79, 82  et sv. AUDCG admettent l’équivalence  entre les  documents électroniques et les documents papier relativement aux formalités d’inscription au RCCM. La preuve électronique est également admise en matière de contrat souscrit par voie électronique ( L  2010 (art 13). Par contre, certaines matières sont expressément  exclues en ce que leur preuve ne peut être rapportée par recours aux moyens électroniques. L’article 10 Loi 2010 précitée cite les actes authentiques, les actes translatifs, constitutifs de droits immobiliers, les contrats relatifs aux sûretés civiles, les contrats pour lesquels la loi requiert l’intervention des tribunaux, des autorités publiques, ou de profession exerçant une autorité publique.

La preuve électronique pose enfin le problème de la conservation et de l’archivage car la conservation des documents et preuves électroniques soulève des difficultés qui leur sont propres.

Le principe de l’archivage électronique est reconnu. Il implique l’utilisation du système d’archivage électronique qui suppose l’intervention des professionnels ( tiers archiveurs),

L’AUDCG en son art. 91 pose d’ailleurs l’obligation d’archiver électroniquement les documents de déclaration (voir aussi D. 2011 d’application de la loi sur le commerce électronique, Loi de 2000 sur les archives en son art. 3 al. 2, , L. 2010 sur le commerce électronique  dont les articles 33, 34 prévoient les règles de stockage et de conservation des données électroniques et pose que la conservation du document électronique fait foi au même titre que celle du document écrit.

L’arrimage à l’évolution technologique devenue inéluctable est aujourd’hui un défi que le juriste doit relever en matière de preuve sans pour autant remettre en cause les règles cardinales en la matière .