Le banquier et les incidents de paiement du chèque
Par NKOUNKEU BIAKEU Yves – Roger, Master en droit des affaires et de l’entreprise, Université de Dschang
Le chèque est un moyen de paiement scriptural à vue dont la validité est conditionnée par un certain nombre de mentions qui lui permettent d’être considéré comme tel. Il est un ordre donné par le signataire appelé tireur à un tiers appelé tiré généralement un établissement de crédit ou de microfinance de payer à une personne désignée bénéficiaire ou porteur, la somme mentionnée sur le titre. Le paiement par chèque ne devient obligatoire qu’à partir d’un certain montant fixé par la loi. L’utilisation de ce titre est bénéfique à plusieurs égards. Juridiquement, le chèque est un instrument de transport des fonds et pour cette raison, un instrument de paiement et en définitive une monnaie. Économiquement, l’expansion du chèque permet d’agir sur le coût de fabrication de la monnaie qui reste encore élevé dans l’espace OHADA, en même temps qu’il atténue les risques de vol. Et sur le plan sécuritaire, l’usage du chèque contribue à freiner notamment les pratiques du blanchiment des capitaux. En outre, la sécurité du chèque permet de maitriser les effets pervers de la thésaurisation qui, au regard de son importance dans la zone, préjudicie gravement aux investissements et à l’économie. Mais pour y arriver, il faudrait bien que la circulation du chèque, et donc son paiement, ne puisse guère poser de difficultés.
Le paiement du chèque consiste uniquement dans le versement de son montant au bénéficiaire ou par un jeu d’écritures le transfert de ce montant d’un compte bancaire vers un autre. Pour être payé, le bénéficiaire du chèque doit le présenter au tiré dans le délai légal. Cependant, sa présentation dans ce délai, ne lui garantit pas toujours, son règlement lorsqu’il y a des incidents de paiement, que sont les oppositions illicites et surtout l’émission de chèque sans provision dont la recrudescence constitue un danger. Tous ces risques ont pour conséquence, de plomber le paiement des transactions, via ce moyen. Or, la sécurité est un élément important de tout système de paiement et par ricochet, de tout moyen de paiement, dont le garant est, en général, le banquier. On conçoit ce dernier comme une personne agréée qui exerce l’activité bancaire. Il renvoie alors, à la fois, aux banques commerciales et à la banque centrale ( BEAC) qui jouent un rôle important dans la gestion des incidents de paiement. Toute la question est de déterminer effectivement le rôle que le banquier joue face aux incidents de paiement du chèque. De cette interrogation, se dégage un double intérêt, théorique et pratique.
Théoriquement cette étude donne d’analyser les règles juridiques qui permettront au chèque d’assurer véritablement son rôle d’instrument de paiement dans un contexte peu sécurisé, et de minimiser ses risques par le truchement de l’expertise bancaire. Pratiquement, elle propulsera une gestion et une exploitation optimales du chèque qui le crédibiliseront à nouveau, en reconquérant la confiance, quelque peu perdue, du public dans son utilisation, afin d’encourager l’épargne et de relever le taux de bancarisation encore très faible. Les banques sont alors au centre de la politique de sécurisation du chèque. En effet, le banquier intervient d’abord dans la prévention des incidents de paiement du chèque et ensuite au cas échéant, dans le traitement du chèque sans provision.
Relativement à la première idée, la prévention s’opère à deux niveaux : tant à l’ouverture du compte que dans le fonctionnement de celui-ci. Pris dans la première occurrence, le banquier est invité à y faire montre d’une grande circonspection. Il doit ainsi s’assurer notamment de l’identité et l’adresse du postulant. Il ne doit lui délivrer le chéquier dont l’authenticité doit être de mise, qu’après que le fichier prévu à cet effet le lui ait autorisé. Bien plus, il doit mettre en garde son nouveau client après lui avoir fourni des informations appropriées relatives à l’usage du titre mis à sa disposition. S’il omet ces vérifications, il peut voir sa responsabilité être engagée au triple plan civil, disciplinaire et pénal. Dans la seconde occurrence, l’établissement de crédit doit être au maximum clair et précis dans les ouvertures de crédit. Cela permet d’établir non seulement son engagement, mais aussi et surtout le montant de l’ouverture de crédit et éventuellement ses variations dans le temps. Cette exigence se trouve accrue lorsque l’ouverture de crédit est verbale ; car elle permettra de déterminer l’étendue de l’engagement du banquier tout en éludant des ruptures brutales du crédit alloué.
Somme toute, si le respect du dispositif préventif des incidents de paiement du chèque, peut avoir le mérite de faire significativement face aux fraudes dont est victime ce titre, il en va différemment, quant à ce qui concerne son émission sans provision dont l’anéantissement nécessite outre la prévention, la vigilance et surtout l’honnêteté du tireur, chose pourtant rare en pratique, d’où l’existence de chèques sans provision dont le traitement passe également par l’intervention bancaire.
S’agissant de cette seconde idée, l’émission d’un chèque sans provision impose au banquier de prendre immédiatement des mesures dont la finalité est d’un double intérêt : préserver l’image du secteur bancaire et permettre la protection des intérêts de la victime. Dans la première hypothèse, il s’agit de l’interdiction bancaire qui implique non seulement l’injonction bancaire faite au tireur d’avoir à restituer tous les moyens de paiement en sa possession et celle de ses mandataires, mais aussi l’interdiction de ne plus émettre des chèques et d’utiliser des cartes de paiement. Il s’agit aussi pour le banquier d’enregistrer, puis de transmettre aux fins de centralisation, l’incident pour une large diffusion.
Toutefois, cette interdiction n’entraine pas l’exclusion définitive du tireur dans le circuit bancaire. Il a la faculté de régulariser sa situation. S’il ne le fait pas, la victime lorsqu’elle est diligente, bénéficie d’un recours spécifiquement bancaire pour le recouvrement du chèque sans provision avec l’entrée en jeu des officiers ministériels à l’instar de l’huissier et du notaire. Des recours judiciaires lui sont également ouverts, notamment la procédure d’injonction de payer.
En définitive, il appert que la lutte contre les atteintes au chèque est un combat pour une sécurité juridique indispensable à la bonne marche des affaires. Ainsi, pour ne pas détourner le chèque de sa fonction notamment d’instrument de paiement, à l’instar du médecin, l’important rôle du banquier consiste d’abord à prévenir et ensuite, lorsque cette prévention a fait défection, à soigner les malaises de ce titre. Par la prévention, l’intervention bancaire permet de faire face à tous les risques auxquels le chèque s’expose, alors que sa compétence dans le traitement curatif est limitée et même partagée avec d’autres acteurs. Si ces missions bancaires face aux incidents de paiement du chèque ne constituent guère une panacée, il y a néanmoins lieu de souligner leur relative capacité dissuasive au regard de la responsabilité diversifiée du banquier à laquelle il s’expose en cas de mépris de ses obligations, comme c’est le cas bien-sûr, des officiers ministériels qui se refuseraient à tort d’instrumenter dans le cadre du traitement du chèque sans provision. Cette capacité peut s’accroitre si des ajustements y sont entrepris ; notamment le paiement automatique d’un montant minimum du chèque par le banquier, même si cela pourrait déboucher sur la pratique du fractionnement du chèque. Cependant, dans un contexte marqué par l’incurie, l’impunité et la cupidité, est-il vraiment pensable que le banquier puisse jouer efficacement ce rôle ? Bien plus, l’analphabétisme, la pauvreté ne constituent-ils des freins à l’usage de ce moyen de paiement scriptural ? Si les réponses à ces questions ne relèvent guère de l’impossible, elles constituent néanmoins des pistes de réflexion pour des recherches futures.
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Merci Professeur