Du dessaisissement du juge étatique face à la convention d’arbitrage en droit OHADA
MBAZI Grâce Beda,
Doctorant en sciences juridiques à l’Université Catholique du Congo, Assistant à la faculté de droit de l'université de Goma, Formateur en Droit de l’OHADA certifié par le CERDAOHADA-RDC Mail : gracembazi2016@gmail.com
ANCIZA MIGANI Ryan,
Chercheur en Droit des affaires Mail : ryanmigani011@gmail.com
MURHULA BAHATI Pacifique, Chercheur en Droit de l’OHADA, Droits humains et en Droit des ressources naturelles Mail : pbahatim@gmail.com
Introduction
Le recours à l’arbitrage en lieu et place des juges étatiques est de plus en plus prisé dans le monde des affaires. Les parties aux contrats préfèrent ainsi se choisir un juge avec plus de célérité et moins de lourdeur, avec plus de confidentialité et moins de publicité. Si les avantages du recours à l’arbitrage sont indubitables, ses effets conduisant au dessaisissement total des juridictions étatiques attirent l’attention de plusieurs. L’incompétence du juge du fait de l’arbitrage tend alors à écarter totalement ce dernier, ce qui mérite une meilleure appréhension des pouvoirs et de la compétence de l’arbitre et une bonne saisie de la place du juge étatique dans la procédure arbitrale.Pouvant être prévu par clause compromissoire dans le contrat ou par compromis après survenance du différend à régler, l’arbitrage permet aux parties de recourir à leur propre juridiction, le tribunal arbitral, qui peut être institutionnel ou ad hoc. Cet environnement ainsi créé est très avantageux, surtout pour l’encouragement des investissements étrangers, d’autant plus que le législateur OHADA n’exclut pas l’arbitrabilité d’un litige même lorsque la puissance publique y est partie . La Cour commune de justice et d’arbitrage a eu à le réaffirmer dans plusieurs espèces , en mettant un point d’honneur à rappeler que les personnes qui recourent à ce mode de règlement des litiges aspirent à une sécurité maximale.
I. Le dessaisissement du juge étatique du fait de la convention d’arbitrage en droit OHADA
L’article 13 de l’AUA pose le principe de l’incompétence du juge étatique saisi d’une affaire faisant l’objet d’une procédure d’arbitrage en vertu d’une convention d’arbitrage . Et, même lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étatique doit se déclarer incompétente à la demande de la partie intéressée, conformément aux dispositions de l’article 13 al. 3 de l’AUA. Dans ce cas, ce n’est pas la saisine du tribunal arbitral qui handicaperait celle du juge étatique mais la seule prévention d’une clause arbitrale liant les parties au litige. La clause fonde ainsi l’incompétence. La CCJA et les cours suprêmes nationales procèdent à une application rigoureuse du principe d’abstention du juge étatique en présence d’une convention d’arbitrage. Comme le précise la CCJA, « en application des articles 23 du Traité et 4 de l’AUA, toute juridiction étatique saisie d’un tel litige doit se déclarer incompétente lorsque l’une des parties en fait la demande » . Il ne s’agit pas d’une incompétence absolue pouvant être relevée d’office par le juge étatique , il faut pour cela une demande d’une des parties au litige . En effet, l’article 13 de l’AUA confère à la convention d’arbitrage un caractère relatif. La clause compromissoire est une convention privée dont l’exécution repose exclusivement sur la volonté des parties. Ce sont elles qui en requièrent l’application ou, selon leur autonomie de la volonté, peuvent aussi y faire échec. C’est ainsi que la CCJA insiste que « la juridiction étatique saisie d’un litige relevant de la compétence d’un tribunal arbitral en vertu d’une convention d’arbitrage ne peut décliner sa propre compétence qu’à la condition que l’une des parties lui en ait fait la demande » . Les parties peuvent ainsi renoncer à l’arbitrage en portant le litige devant une juridiction étatique . D’aucuns critiqueraient fortement cette place de choix accordée au tribunal arbitral pour une affaire dont serait saisie une juridiction étatique.Ne serait-il pas de bon sens qu’un différend né sur le territoire d’un État quelconque soit tranché par ses propres juridictions ? Or, dans le respect de l’AUA, si le juge est déjà saisi d’une affaire et que l’arbitre se voit saisi de la même affaire par suite selon la clause, le premier sera, à la demande de l’une des parties, totalement neutralisé au profit du second . L’intervention du juge étatique dans la procédure arbitrale est en principe interdite et si, exceptionnellement, ce dernier se prononce sur certaines mesures en cas d’urgence, ces cas de figure sont aussi limités. Et si le juge arbitral tend à prendre le dessus sur le juge national, cette position est davantage confortée lorsqu’on examine de près la compétence et l’étendue des pouvoirs reconnues au tribunal arbitral.
II. Portée de la compétence et des pouvoirs de l’arbitre en droit OHADA
Les termes de l’article 4 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage sont clairs. « La convention d’arbitrage est indépendante du contrat principal. Sa validité n’est pas affectée par la nullité de ce contrat et elle est appréciée d’après la commune volonté des parties, sans référence nécessaire à un droit étatique. » . La clause d’arbitrage est indépendante du contrat qui la contient, en droit OHADA. En effet, cette clause, qu’elle soit contenue dans le contrat qui fait l’objet de litige ou pas, ne dépend pas de ce dernier en vue de sa validité. De façon beaucoup plus claire, lorsque deux parties prévoient dans leur contrat une clause d’arbitrage en cas de survenance d’un différend entre elles, mais il s’avère que le contrat lui-même dont le litige sera tranché en arbitrage est ou devient nul, cette nullité n’entache en rien la clause arbitrale qui restera alors entièrement valide . L’accessorium sequitur principale ne peut être d’application . Le juge arbitral est juge du contenu du contrat. Le contenu du contrat est, naturellement, le domaine que doit traiter le tribunal arbitral. Peu importe le contenu, les normes y reprises, les parties signataires ou leur consentement, l’objet du contrat, les obligations violées par les parties, les termes du contrat, la cause ; tout le contenu du contrat sur lequel porte le litige est de la compétence matérielle du tribunal arbitral. Cette seconde variante du principe de compétence-compétence couvre ainsi le contentieux de la prise d’effet des conventions d’arbitrage ainsi que celui de son champ d’application matériel et personnel . Cela ressort d’ailleurs de la position de la CCJA dans une espèce où la question du champ d’application matériel de la convention d’arbitrage s’est invitée. La juridiction communautaire va affirmer que « le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage impose au juge arbitral, sous réserve d’un recours éventuel contre sa sentence à venir, d’exercer sa pleine compétence sur les éléments du litige, qu’il s’agisse de l’existence, de la validité ou de l’exécution de la convention » . La juridiction arbitrale choisie par les parties est d’ailleurs celle devant se prononcer même sur l’arbitrabilité du litige. « Rien n’échappe à l’arbitre », diraient alors certains. Toutefois, il ressort des dispositions de l’article 13 alinéa 4 de l’AUA et de la jurisprudence que la juridiction étatique demeure compétente à se prononcer sur les mesures provisoires et à statuer lorsque la convention d’arbitrage est « manifestement nulle » ou « inapplicable ».
III. Intervention finale du juge étatique « dans la procédure arbitrale »
Si les compétences et pouvoirs ci-avant reconnus au tribunal arbitral semblent limiter le rôle traditionnellement consacré au juge étatique, celui-ci demeure par ailleurs le seul maître des contentieux impliquant la sentence arbitrale rendue. Qu’il s’agisse aussi bien des recours exercés contre celle-ci que de l’acquisition de la force de la chose jugée dont elle a besoin pour son exécution, l’intervention de l’État à travers le juge demeure indispensable. Le juge étatique est compétent pour statuer sur les recours exercés contre la sentence arbitrale. Le juge étatique recouvre la plénitude de ses compétences juridictionnelles lorsqu’il y a lieu de se prononcer sur le recours en annulation ou en tierce opposition exercé contre la sentence arbitrale ayant sanctionné la procédure d’arbitrage. En effet, à la lecture de l’article 25 de l’AUA, le recours en annulation doit être porté devant la juridiction compétente de l’État partie , lorsque l’un des motifs d’annulation prescrits à l’article 26 est établi.
Conclusion
L’arbitrage ne saurait se passer du juge étatique en dépit d’une certaine indépendance dont jouirait le tribunal arbitral en vertu de l’AUA. Non seulement l’arbitre a besoin de l’intervention de l’État pour la reconnaissance et l’exécution forcée de sa décision, mais aussi et surtout, à travers le juge étatique, l’État s’assure du respect des droits reconnus aux personnes par ce dernier à travers certains recours. Ainsi, croire que la souveraineté étatique serait mise à mal par le recours à l’arbitrage est une erreur, d’autant plus que ce mode de règlement des différends tire son fondement de cette même souveraineté. La reconnaissance de l’arbitrage et des pouvoirs juridictionnels à des arbitres, sont le reflet de la délégation des pouvoirs de l’État qui, encore une fois, est une marque de sa souveraineté. C’est en vertu de celle-ci que le juge étatique se dessaisit au profit de l’arbitre, dans le respect de l’AUA.
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