Organismes à but non lucratif et lutte contre le blanchiment des capitaux en Afrique Centrale : ce que prévoit la Directive du 26 mai 2024
Pr KALIEU ELONGO Yvette Rachel
Université de Dschang
L’actualité de la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive en Afrique Centrale est marquée, ces derniers temps, par une sorte de frénésie législative. Le Règlement du 21 avril 2016 portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique Centrale CEMAC vient d’être abrogé par un Règlement du 20 décembre 2024. Ce nouveau règlement intervient après le Règlement COBAC R-2023/01 du 19 décembre 2023 relatif aux diligences des établissements assujettis en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération qui a abrogé le Règlement de 2005 portant sur le même objet. Il faut ajouter à ces deux textes, l’adoption du Règlement n° 04/24/CEMAC/UMAC/ CM du 20 décembre 2024 portant régime de mise en œuvre des sanctions financières ciblées liées au financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique Centrale.
A cet arsenal réglementaire déjà très riche, il convient d’ intégrer la Directive n°1/2023/ CEMAC/UMAC/ CM du 26 mai 2024 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération par le biais des organismes à but non lucratif ( OBNL) dans les Etats du GABAC. Comme son nom l’indique, cette Directive a la particularité de concerner des acteurs spécifiques à savoir les organismes à but non lucratif ( OBNL) définis comme des personnes morales, constructions juridiques, ou organismes impliqués dans la collecte ou la distribution des fonds pour des motifs caritatifs, religieux, culturels, éducatifs, sociaux ou confraternels ou pour d’autres types de « bonnes œuvres ».
On le sait, les OBNL ayant leur siège ou exerçant leur activité dans l’un des pays de la CEMAC sont, depuis le Règlement du 11 avril 2016, assujettis aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et les infractions assimilées avec le risque de subir les sanctions prévues en cas de manquement à leurs obligations telles que l’obligation de déclaration des soupçons. Mais, certainement au regard de la spécificité et surtout de la fragilité de ces organismes, il a été jugé important d’ajouter au dispositif déjà existant un autre texte qui impose des obligations spécifiques pour lutter plus efficacement contre toutes les pratiques de blanchiment des capitaux, de financement du terrorisme et de la prolifération qui useraient ou tenterait d’user de leur canal .
Une autre particularité de la Directive vient de son champ d’application ratione personae. Contrairement aux autres textes en matière de lutte contre le blanchiment adoptés en Afrique Centrale et tout particulièrement par la CEMAC, la Directive du 26 mai 2024 s’adresse aux Etats du GABAC entendu Groupe d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique Centrale et non pas aux Etats membres de la CEMAC uniquement. Il faut à ce niveau préciser que si tous les Etats membres de la CEMAC sont membres du GABAC, il y a, à l’inverse des Etats du GABAC qui ne sont pas membres de la CEMAC. Il s’agit particulièrement de la RDC qui, par un Accord signé entre cet Etat et la CEMAC en 2017 est depuis lors membre associé du GABAC. C’est la raison pour laquelle le texte indique clairement que la Directive s’applique aux membres et membres associés du GABAC.
Relativement à son contenu, la Directive comporte diverses mesures et surtout des obligations de surveillance et de contrôle qui visent à prévenir les risques d’utilisation des OBNL aux fins de blanchiment des capitaux, de financement du terrorisme ou de la prolifération. Certaines obligations concernent les Etats et d’autres les OBNL eux-mêmes.
Pour ce qui est des obligations imposées aux Etats, on peut citer :
- L’obligation d’agréer et d’enregistrer les OBNL avant le début de leurs activités
- L’obligation d’établir une cartographie des risques de ces organismes en fonction de différents critères qui tiennent compte de leurs spécificités
- L’obligation de sensibiliser les OBNL et des associer aux politiques programmes mis en place en matière de lutte contre le BC/ FTP
- L’obligation de mettre en place en les dotant de moyens nécessaires des organes chargés du suivi, du contrôle, de l’audit , de la surveillance et le cas échéant de la sanction des OBNL. La Directive comporte d’ailleurs une liste de sanctions susceptibles d’être appliquées (amendes, révocation des dirigeants radiation des listes, etc.).
La Directive prévoit cependant que l’Etat mettre en œuvre ces obligations dans le respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens.
Pour ce qui concerne les OBNL, on peut citer comme obligations qui leur incombent, entre autres :
- L’obligation de transparence dans leur gestion et leur fonctionnement,
- L’obligation de connaissance de leurs bénéficiaires et donateurs assortie de l’obligation de vigilance permanente à l’égard de ces derniers sous peine de sanctions par l’Etat qui est tenu de prendre des dispositions pour les contraindre au respect de cette obligation
- L’obligation d’utiliser les circuits financiers réglementaires pour les transferts et donations de fonds notamment avec les bailleurs de fonds étrangers sauf dérogation spéciale
- L’obligation de conserver les documents permettant d’assurer leur surveillance et leur contrôle et ce, pendant un délai de 10 ans.
On constate donc à travers ces différentes obligations que les autorités communautaires ont pris les taureaux par les cormes pour encadrer spécialement les OBNL évoluant en Afrique Centrale en matière de BC.
Le défi reste cependant celui de la mise en œuvre de
ces dispositions car, s’agissant d’une Directive, elle doit être transposée dans les Etats. Malheureusement, si on s’en tient aux expériences des dernières directives de la CEMAC, les Etats ne se hâtent pas toujours pour le faire. Il faut espérer que les enjeux importants liés à la lutte anti- blanchiment et au financement du terrorisme et de la prolifération que sont entre autres la sécurité et la stabilité des Etats prendront le dessus pour que tous les Etats membres et associés du GABAC procèdent très vite à la transposition.
Laisser un commentaire