Agrégée des facultés de droit, consultante formatrice en droit des affaires, vice-doyenne à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Dschang, elle éclaire de sa science, les internautes sur « la société anonyme à objet sportif », sujet de polémique et des guerres verbales entre la ligue professionnelle de football du Cameroun et les clubs de l’élite. Selon cette experte, on a imité la France et on a voulu aller plus vite qu’elle. Et le résultat risque d’être catastrophique. Lire l’interview….
Vous avez sans doute suivi la polémique entre les clubs et la ligue professionnelle de football sur la transformation des clubs en « sociétés anonymes à objet sportif ». Quel commentaire pouvez-vous faire ?
Je vous remercie de me donner l’opportunité de me prononcer sur cette question qui a fait et continue de faire l’objet de nombreux débats, non seulement dans les milieux sportifs, mais aussi dans les milieux juridiques au Cameroun. La société anonyme à objet sportif est une création du droit français. C’est le législateur français qui l’a créée à côté de la société anonyme de droit commun. La vocation de la S.A.O.S. est la gestion des clubs sportifs et plus précisément des clubs de football. Elle est une forme particulière à côté que sont : la société anonyme sportive professionnelle, «l’entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée ». Il s’agit donc de trois formes particulières de société dédiées à la gestion des clubs de football et sportifs en général.
Comment peut-on caractériser les sociétés anonymes à objet sportif qui nous intéressent le plus?
Si on reste dans le contexte du droit français qui est le sien, la S.A.O.S a essentiellement pour vocation, la gestion des clubs sportifs. Contrairement à la société anonyme de droit commun, elle se caractérise par quelques éléments particuliers : la loi prévoit l’interdiction de distribuer les dividendes, le tiers du capital doit être détenu par l’association sportive support du club, les actions sont nécessairement émises sous la forme nominative. Il s’agit donc d’une société qui est par la forme, une société anonyme comme les autres. Mais elle se particularise par son objet et les restrictions apportées dans sa gestion.
Que faut-il pour créer une S.A.O.S ?
Le législateur français a prévu des règles particulières de création de ces sociétés. Premièrement, il leur a imposé des statuts-type. Cela suppose que d’une S.A.O.S à une autre, il y a un certain nombre d’éléments communs, comme la détention d’un tiers du capital par l’association créatrice de la société.
Ce qu’il faut ajouter, c’est que depuis 2012 en France, les S.A.O.S, ainsi que les autres formes particulières de société de gestion de clubs citées plus haut, peuvent coexister avec les sociétés anonymes de droit commun et avec les autres formes de société. Désormais, les clubs sportifs en France peuvent prendre la forme d’une société anonyme, d’une société à responsabilité limitée ou d’une société par actions simplifiées.
Peut-on conclure qu’on a simplement essayé de plaquer au Cameroun le droit français ?
C’est ce qu’on est presque obligé de conclure. On voit que le législateur français a créé des formes particulières à côté des sociétés de droit commun. Or au Cameroun, le droit applicable aux sociétés commerciales en général depuis 1998, est l’Acte uniforme OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. Cet acte uniforme prévoit entre autres formes, la société anonyme. Elle est définie comme une société dans laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et dont les droits des actionnaires sont représentés par des actions. La S.A. est donc qualifiée de société de capitaux.
Cela suppose-t-il que la S.A.O.S est une imposture en droit camerounais ?
Dans notre contexte, le législateur n’a pas prévu de règles spécifiques applicables aux sociétés ayant pour but, la gestion des clubs sportifs. La S.A.O.S n’est pas une catégorie juridique créée par le droit OHADA et donc, n’en est pas une en droit camerounais.
Le président de la ligue professionnelle de football n’est donc pas en droit d’exiger la transformation des clubs en S.A.O.S ?
Je ne me prononcerais pas sur la position de ce responsable de sport. Je dirais simplement qu’il est difficile d’imaginer que l’on exige aux clubs, la transformation en une forme juridique qui elle-même n’existe pas dans notre législation. On aurait pu simplement leur imposer la mutation en sociétés anonymes.
Mais lorsqu’on lit les dispositions consacrées par l’Acte uniforme OHADA aux sociétés anonymes, on constate qu’elles sont assez rigoureuses en termes de capital social minimum et de gestion. Il ne saurait y avoir de dérogation à ces règles strictes par le simple fait que l’objet de la S.A. est la gestion d’un club sportif. On s’est rendu compte que le législateur français a adopté une législation particulière. Par exemple le fait d’interdire la distribution des dividendes, c’était pour préserver les fonds mis pour le fonctionnement des S.A.O.S, afin qu’ils ne soient pas distribués aux actionnaires. Il y a aussi le fait d’imposer la détention du tiers du capital par l’association créatrice de la société. Ceci a été fait parce qu’on est en matière de sport ; l’initiative sportive doit être préservée et il ne s’agit pas de faire des activités sportives, des activités économiques comme toutes les autres.
Si dans le droit OHADA, ces dispositions ne sont pas prises et qu’il faille, imposer aux clubs la forme S.A. qui est celle qui est prévue, à défaut d’une autre qu’on pourrait leur imposer (SARL par exemple), est-ce qu’en l’état actuel des choses, ces structures sportives ont intérêt à adopter la forme S.A. sans que l’on mette quelques balises, notamment pour préserver les droits de l’association et tenir compte de notre contexte économique ? L’on sait que la S.A. est une société de capitaux et la forme la plus importante. Est-ce que ces clubs ont véritablement la capacité de muter en S.A. sans que des règles dérogatoires soient prises pour tenir compte de leur objet ?
Certaines associations qui gèrent les clubs professionnels au Cameroun craignent que des richissimes venus de nulle part les rachètent et en font une propriété privée sans tenir compte du fait qu’il s’agit des patrimoines communautaires. Partagez-vous ce sentiment ?
Ce sont ces écueils que le législateur français a pris en compte en 1984, lors de la création des sociétés anonymes à objet sportif. La loi française permet depuis 2012, que les clubs sportifs puissent également se constituer en sociétés anonymes de droit commun si elles le souhaitent. Mais il faut dire qu’on est ici dans le contexte du droit français où les clubs ont de gros moyens. Le législateur a toujours maintenu la possibilité pour les clubs de choisir des formes particulières (S.A.O.S, société anonyme professionnelle sportive…), à côté des formes de droit commun qu’elles peuvent adopter.
Il a donc fallu du temps, 28 années au total, pour que l’on éprouve la gestion de ces sociétés aux formes particulières pour être amené à penser que les clubs sportifs peuvent également adopter les formes de sociétés commerciales de droit commun. Or, dans notre contexte, on n’a pas pris le temps de faire la même démarche pour voir si les sociétés anonymes, telles que prévues par le droit OHADA, pouvaient convenir aux moyens matériels, financiers et de gestion de ces clubs de football.
A vous entendre, on peut conclure qu’il s’agit d’un vaste de champ de réflexion qu’on a encore pas véritablement ouvert au Cameroun. Puisqu’on s’est engagé sur cette voie du professionnalisme, peut-on s’attendre à des études des maitres du droit que vous êtes sur la question, afin que des propositions concrètes sortent pour éclairer les dirigeants des clubs et de la ligue professionnelle ?
Nous pensons tout modestement que la première chose devrait être au regard, de la gestion actuelle des clubs de football tels qu’ils sont constitués en associations (pour la plupart), de faire une sorte d’audit sur leur gestion actuelle. Il s’agit ensuite de voir, parmi les formes de sociétés prévues par le droit OHADA, quelle est celle qui pourrait être imposée aux clubs en fonction des spécificités de notre contexte, pour les aider à aller vers le professionnalisme, l’objectif étant de gérer en préservant les intérêts du club et des joueurs.
Dans tous les cas, les S.A.O.S sont une catégorie juridique bien déterminée, dans un contexte assez précis qui est celui du droit français. Et à moins que le législateur OHADA ne soit amené à modifier ses textes, cette catégorie n’existe pas. Il faudrait donc définir une catégorie qui corresponde mieux à la situation des clubs.
Parlons d’une situation pratique. Il a été déclaré, à la faillite d’une microfinance en 2011 que l’association Union sportive de Douala devait à cette structure une somme importante d’argent. Par ailleurs, il y a des clubs qui sont lourdement endettés sous leur forme d’association. En cas de création de la S.A., est-ce que ces dettes sont immédiatement mises au passif des sociétés nouvellement créées ?
Il faut d’abord savoir en quel nom et à quelles conditions ce club a contracté la dette. Si c’est au nom de l’association sportive, elle reste tenue de la dette. Si c’était au nom d’un dirigeant, c’est lui qui reste le débiteur. Si une société anonyme est créée, elle ne reprend pas le passif de l’association. N’est tenu débiteur que celui qui a contracté la dette. Une société nouvellement créée devrait fonctionner normalement, compte non tenu de la situation antérieure des dirigeants ou de certains membres, notamment l’association qui ferait partie de la S.A. Si c’est l’association Union sportive de Douala qui a contracté la dette, c’est à elle de la payer. Il ne revient pas à une éventuelle « Société anonyme Union sportive de Douala » de régler une quelconque dette. On fonctionne ainsi parce qu’il ne s’agit pas d’une transformation. Il s’agit d’une nouvelle structure avec de nouveaux actionnaires. La personnalité morale de la S.A. est différente de celle de l’association. Qu’on comprenne bien ici qu’il ne s’agit pas de camoufler les dettes d’un club.
Certains clubs camerounais ont créé des sociétés anonymes. D’autres font valoir, en dépit de l’incongruité juridique que vous démontrez, qu’ils sont des S.A.O.S. Tous sont en train de concevoir des plans d’investissement pour leur développement. Dans le contexte flou actuel, les banques pourvoyeurs de fonds peuvent-ils leur faire confiance, à votre avis ?
La société anonyme est une société de capitaux. On prend plus en compte les fonds qui sont mis que la personne des actionnaires. Par conséquent, Si la S.A. a des capitaux importants, si elle présente des cautions, elle peut obtenir des crédits auprès des banques. Pourvu que la gestion de ces clubs soit de nature à permettre de rembourser ces dettes contractées au nom de la société anonyme. Tout est question de confiance que la banque va mettre en la S.A. nouvellement créée et de la gestion après l’obtention du crédit. Il faudrait que la S.A. obtienne des revenus à même de lui permettre de faire face à ses obligations, de maintenir sa crédibilité auprès des banques et de se développer.
Propos recueillis par Hindrich ASSONGO
(Interview réalisée le 23 juillet 2013)
Ndayou Moïse Erwan
Bonjour Professeur, je suis étudiant en Master 2 Droit des Affaires et de L’entreprise à l’Université de Dschang promotion 2015. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre interview au sujet des Sociétés à Objet Sportif et je comptes justement travailler sur la question. Pour ce faire, j’ai deux préoccupations; la première est celle d’avoir votre avis sur mon thème de recherche formuler comme suit:
Les Sociétés à Objet Sportif et le Droit OHADA.
Et la seconde est celle des indications bibliographiques. Merci pour l’intérêt que je sais d’avance que vous porterez à mes préoccupations.
Cordial salut à vous Professeur.
Kalieu
Votre sujet est intéressant mais il doit être validé par le directeur. Pour la bibliographie, faites les premières recherches et on verra ensuite.